Enseignement en électronique : chronique d’une catastrophe annoncée
L’électronique et le numérique sont partout et sont les clefs de voûte de notre innovation et de toute notre stratégie industrielle nationale. L’électronique et le numérique se fabriquent et considérant l’évolution des techniques et des technologies, il n’est plus imaginable de penser inventer et concevoir un produit électronique et numérique sans savoir comment il sera fabriqué. Or dans cet environnement, sources de compétitivité et d’innovation, il apparaît que l’électronique et le numérique ne sont plus enseignés en France sauf après le Bac niveau III (IUT et BTS) et en école d’Ingénieur ou à l’Université. Mais la dimension fabrication est rarement prise en compte. APIE demande qu’une réelle filière industrielle électronique et numérique soit mise en place ; Il en va de la compétitivité de l’ensemble de notre industrie Nationale (*).
L’électronique et le numériques sont partout. A tel point que l’électronique en est devenue invisible. Il est donc utile de rappeler que le numérique repose sur l’électronique et qu’un équipement dit numérique ne peut pas fonctionner sans ses composants et sous-ensembles électroniques. Aujourd’hui, la majorité des cartes électroniques est constituée d’un assemblage, sur circuits imprimés souples ou rigides, de composants électroniques et/ou numériques : semi-conducteurs intégrés et discrets, composants passifs tels que condensateurs, résistances, inductances et filtres, connecteurs, composants électro mécaniques et actuateurs. L’ensemble est intégré, pour faire très simple, dans des sous-systèmes ou des systèmes avec des interconnexions électriques ou optiques ou dans des baies de raccordement.
L’Electronique et le numérique sont partout : dans au moins 5 des 7 ambitions de la Commission Innovation 2030 d’Anne Lauvergeon, dans au moins 10 des 14 Comités Stratégiques de Filières du CNI, dans au moins 28 des 34 plans de la nouvelle France industrielle d’Arnaud Montebourg. Sans parler des 40 mesures du Plan Nouvelle Donne pour l’Innovation de Fleur Pellerin. C’est dire que sans électronique et numérique, rien de tout cela n’est possible ! Cela signifie simplement que l’électronique et le numérique sont les briques incontournables de notre innovation et de toute notre stratégie industrielle. (*)
Mais par extension de la stratégie fabless apparue en 1995, il est maintenant convenu par de nombreux observateurs et décideurs que la fabrication électronique n’a plus sa place en France. Par effet d’hypermétropie érigé en dogme, l’inconscient collectif a relégué la fabrication en arrière-plan au bénéfice de l’usage des produits électroniques et numériques. Et force est de constater aujourd’hui que les effets collatéraux du fabless sont mortifères pour l’industrie, que beaucoup voudraient voir revenir au premier plan – emplois obligent.
Quand le Chef d’un projet électronique et numérique est devant sa feuille blanche, qu’il doit fabriquer ou faire fabriquer la carte électronique et envisager ses fonctions numériques, il doit faire face à une difficile problématique. En effet, sachant qu’au niveau de l’ensemble de la supply chain il y a 30 paramètres et 212 variables à définir et sachant qu’en théorie ces 30 paramètres et 212 variables sont interdépendants (dans le pire des cas et virtuellement faux), le nombre de combinaisons possibles qui s’offrent à lui serait de 42 x 10(18) ! (source IPC Europe).
Cela illustre l’importance du design for manufacturing, de la nécessité d’avoir un minimum de connaissance des techniques d’industrialisation et fabrications surtout quand d’autres technologies (comme l’électronique imprimée, l’interconnexion 3D ou les objets connectés …) ou bien d’autres matériaux ou bien encore d’autres techniques émergent et foisonnent. Il est alors certain que nos « 42 x 10 n’est plus imaginable de croire que l’on peut innover et concevoir correctement sans savoir comment cela peut être fabriqué, assemblé, testé, réparé ici ou ailleurs, totalement ou partiellement, à moins de vouloir perdre en compétitivité et ce n’est un but pour personne.
Dans cet environnement stratégique et technique les dommages collatéraux, qui ont échappé à tout le monde, concernent l’enseignement de l’électronique et du numérique. Le Ministère de l’Education Nationale a lancé récemment une consultation pour la rénovation des BAC Pro ELEEC (Electrotechnique Energie Equipements Communicants) et SEN (Systèmes Electroniques et Numériques). Dans son projet de rénovation, l’Education Nationale propose la fusion des deux programmes. Ce qu’il ne faudrait surtout pas faire. Mais ce n’est pas le propos. Ces deux BAC pro sont très utiles et quand on analyse leur référentiel ils correspondent à un réel besoin principalement pour les installateurs.
APIE s’est penché sur le contenu du BAC Pro « Systèmes Electroniques et Numériques » dont le titre fait référence aux fondamentaux de notre industrie. (*). Mais APIE considère qu’il y a tromperie sur le contenu pédagogique. Ce BAC Pro devrait s’appeler en fait « Installation et Maintenance des Systèmes Electroniques et Numériques ». Et, comme la thématique de la réparation n’est pas abordée au cours du programme, il va sans dire que les fondamentaux de la conception, de l’industrialisation et de la fabrication de la carte électronique/numérique ne le sont pas non plus ! On peut aussi s’étonner, que s’agissant d’une formation sur l’installation et la maintenance de systèmes électroniques et numériques, de ne trouver aucune référence à la protection ESD.
APIE a donc recherché, au niveau des diplômes de l’Education Nationale, ceux susceptibles de correspondre à ses métiers et ceux de ses clients (*). Le bilan est catastrophique. Plus de CAP ! Plus de BEP ! Le Bac Technologique STI Génie électronique ayant été abrogé en juin 2012, le BAC le plus proche, STI2D (Science et technologies de l’industrie et du développement durable), reste généraliste et ne concerne pas spécifiquement l’électronique.
On trouve encore quelques références à la fabrication de cartes électroniques dans les projets de BTS Systèmes électroniques. Mais ces références disparaitront avec la mise en œuvre du BTS systèmes numériques. On se demande bien pourquoi : une carte électronique/numérique ne se fabriquerait-elle pas ?
Restent donc les IUT GE qui conduisent aux Ecoles d’Ingénieurs. En parcourant les programmes de ces Ecoles, nous n’avons pas trouvé trace des thématiques « Production », « Industrialisation » ou « Fabrication », hormis pour les puces.
Or, à partir d’un moment il faut bien sortir du virtuel et passer à la mise en œuvre et à la réalisation, même si cela doit être fait ailleurs, mais si on ne l’enseigne pas il y a peu de chance pour que cela puisse aussi se faire ici. Si on ne l’enseigne pas cela sera fait ailleurs dans de mauvaises conditions d’efficacité. Et nous ne pourrons même pas profiter des sauts technologiques s’ils se présentent.
Au-delà de la rénovation de deux bacs utiles à l’installation et la maintenance des produits électroniques et numériques, les vraies questions qui se posent sont :
- Comment des Hauts Fonctionnaires de l’Inspection Générale de l’Education Nationale en poste depuis des années peuvent-ils être aveugles, se fourvoyer à ce point, favoriser le fabless et hypothéquer notre industrie ? Il y a beaucoup de talents dans le corps professoral encore faudrait-il établir des référentiels qui leur permettent de s’exprimer. Ce désengagement de l’enseignement de premiers niveaux (V et IV voire III pour le BTS), c’est du perdant/perdant à moyen terme. Les meilleurs spécialistes de ces questions dans les entreprises seront tous à la retraite d’ici 10 ans.
- Quand le Ministère du Redressement Productif, le Ministère de l’Education Nationale et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche décideront-ils de se parler pour bâtir une stratégie cohérente de chasse en meute en lien avec une vision stratégique de long terme pour le pays ? On ne peut pas prétendre vouloir conserver l’industrie, voire la développer d’un côté et tout faire d’un autre pour qu’il n’y ait plus personne, faute d’avoir susciter les vocations, dans les unités de recherche, d’industrialisation et de production. Ne pas enseigner l’électronique et le numérique et leur fabrication hypothèque notre compétitivité.
APIE demande qu’une réelle filière pédagogique consacrée à l’électronique et au numérique soit créée en place à partir de la seconde. Cette filière doit intégrer en plus de la conception, les technologies de fabrication avec ou sans travaux pratiques selon les niveaux.
APIE demande à ce qu’aucun diplôme du secondaire comme du supérieur ne puissent porter les termes électronique et numérique sans enseignement des technologies de fabrication des cartes électroniques/numériques : à minima les fondamentaux et plus si affinité.
Si nous n’avons pas cette clairvoyance ite messa est (**).
Article écrit par l’APIE – Agir Pour l’Industrie Electronique est une Alliance qui regroupe au sein de la FIEEC (Fédération des Industries Electroniques, Electriques et de Communication) les Syndicats représentatifs de la Branche électronique. Sa mission consiste à faire connaitre cette industrie qui représente plus de 700 entreprises et près de 160 000 emplois, réalisant un CA de 15 Mds € dont plus de 50 % à l’export. Elle a l’ambition de représenter l’ensemble de la chaîne de la valeur de l’électronique Française.
(*) Concerne les adhérents d’APIE et leurs clients. Ces clients sont toutes les entreprises qui inventent, utilisent et intègrent des cartes électroniques et numériques. Les secteurs concernés sont : l’Electronique Industrielle, la Robotique et les Automatismes, l’Avionique civile et militaire, l’Environnement, le Spatial civil et militaire, la Défense & Sécurité, la Marine civile et militaire, la Monétique, l’Electrique, les Jeux, les Télécommunications, les Energies, le Médical, La Recherche Scientifique, l’Electroménager, l’Automobile et l’ensemble des véhicules du futur, le Ferroviaire, l’ Armement, la Domotique, l’Audio Vidéo, l’Ingénierie, l’Informatique…
(**) La messe est dite